Le Banquier de Hugo


Comment la Chine a soutenu Chávez.

Par Henry Sanderson, Michael Forsythe

chinazuela_0Hugo Chávez, resplendissant dans son treillis fraichement repassé et ses bottes de parachutiste à lacets rouges, avait un invité très spécial.  La rencontre avait lieu ce jour-là, à la mi-Septembre 2011, à Caracas avec le banquier le plus puissant du monde, qui avait prêté au gouvernement de Chávez plus de 40 milliards de dollars au cours des quatre années de 2008 à 2012, soit environ $ 1400 pour chaque homme, femme et enfant au Venezuela.

L’invité paraissait plus vieux que ses 66 ans. Il se pencha  et but du thé au chrysanthème, regardant Chavez par-dessus la table, un Chavez  chauve du fait de ses traitements de chimiothérapie. Il remit au président vénézuélien un livre de 600 pages rempli de recommandations sur la façon dont Chávez devrait exécuter, gérer et construire des ports, des routes et des voies ferrées.

Quelle banque de nos jours peut prêter autant d’argent à l’un des régimes les plus risqués du monde, un pays avec deux siècles de défaut de crédit, et indiquer ensuite à son débiteur la façon de dépenser les fonds provenant du prêt?

Pas Goldman Sachs. Le banquier de Chávez avait des liens gouvernementaux dont la légendaire firme de New York, qui a produit  les anciens secrétaires américains au Trésor, Hank Paulson et Robert Rubin, ne pouvaient que rêver. L’homme assis en face de Chavez était l’équivalent chinois de la royauté. Son père était l’un des pères fondateurs de la République populaire de Chine.

Pas la Banque mondiale. Ce produit de la Pax Americana basé à Washington avait un portefeuille de prêts d’à peine une fraction de la taille de l’entreprise de cet homme, la plus grosse banque du monde. La banque chinoise de Chávez pouvait  se vanter auprès de la Banque mondiale, d’avoir aidé à élaborer le plus grand et sans doute le plus réussi des programmes de réduction de la pauvreté dans l’Histoire, programme qui a vu des centaines de millions de paysans chinois devenir des citadins de la classe moyenne. La banque a introduit des milliards de dollars en Afrique, boostant les exportations éthiopiennes et relançant le réseau de chemin de fer du Ghana après des décennies de négligence.

Pas la Fed. La Réserve fédérale américaine pourrait avoir des trillons de dollars à sa disposition, et elle aurait pu éviter une dépression suite à la crise financière de 2008. Mais quand on parle de résultats, la banque de Chavez a un record sans doute encore plus impressionnant : il a conçu un système pour financer des projets d’infrastructure locaux qui a permis à la Chine de naviguer à travers la crise financière mondiale alors que les États-Unis et l’Europe se cassaient la figure.

L’invité de Chávez était Yuan Chen, président de la China Development Bank (CDB) et le banquier le plus puissant du monde. Vous ne pouvez pas acheter des actions de CDB, elles sont en totalité détenues par le gouvernement chinois. Mais ce serait une erreur de croire que c’est une bureaucratie gouvernementale qui obéit au doigt et à l’œil à l’état. Il s’agit d’une banque, revendiquant le taux d’intérêt non productif le plus bas de tous les prêteurs chinois de quelque importance, et ayant une réputation de férocité dans les négociations avec les clients, qu’ils soient nationaux ou étrangers. Alors que d’autres pays à faible – ou moyen – revenu ont des banques de développement qui aident à financer leurs entreprises nationales et à soutenir la croissance économique pour développer leurs possibilités, l’ampleur de la CDB et le montant qu’il peut apporter en font un animal différent.

La banque la plus puissante du monde? Oui. Et voici pourquoi.

Argument 1: la Chine. CDB a écrit le manuel pour le plus grand essor économique et d’’urbanisation de l’Histoire, en mettant au point un système de prêt à des entreprises locales soutenues par le gouvernement, permettant ainsi de drainer plus de 2 trillions de dollars à travers la Chine pour construire des routes, des ponts, des métros, et des stades. Le système de financement clés en main mis en place, à partir de 1998 dans la province d’Anhui, a eu pour conséquence que la croissance chinoise à peine eut un hoquet pendant que les Etats-Unis plongeaient dans la plus grave crise économique depuis la Grande Dépression. Le  vice-gouverneur de CDB, Gao Jian, qui vient de prendre sa retraite, est considéré comme le père du marché obligataire de la Chine, aujourd’hui le plus grand d’Asie, et source croissante de financement pour les entreprises chinoises. CDB a, en un an, vendu plus d’obligations que le ministère des Finances chinois, une indication de la façon dont il est facile pour la banque d’accéder à d’importantes sommes d’argent dans le système financier de la Chine.

Argument 2: l’Afrique. La Chine a prêté plus à l’Afrique depuis 2001 que la Banque mondiale, et le prêt CDB se concentre sur l’industrie du bâtiment et des infrastructures pour la prochaine étape de croissance de l’Afrique. Elle s’attache à utiliser ses plus gros clients, l’élite chinoise des entreprises d’État, les faisant travailler au maximum. Alors qu’une grande partie des prêts chinois en Afrique sont orientés vers l’extraction de pétrole et de métaux pour alimenter l’insatiable soif de la Chine pour les matières premières (en partie grâce à des financements de la banque de l’urbanisation de la Chine), ceci n’est que la partie visible de l’iceberg. Le département des capitaux privés de la banque, la China-Africa Development Fund, stimule la production et la fabrication de produits sur le continent étant donné que les coûts de la main-d’œuvre augmentent en Chine ; Les fonds ont transformé  l’Ethiopie en un pays exportateur de cuir, ce qui aide les entreprises chinoises  comme les usines  de Chery Automobiles. Au Ghana, la CDB a fourni un prêt de 3 milliards de dollars – le plus gros jamais fait à ce pays – pour financer des routes, le chemin de fer, un terminal pétrolier et un réseau de pipeline. Le prêt stipule que 60 pour cent de l’argent doit aller à des entreprises chinoises sous la forme de contrats garantissant aux entreprises chinoises d’être les grands gagnants.

Argument 3: l’Amérique latine. Le prêt massif, sans précédent  de la CDB au gouvernement de Chávez a contribué à sécuriser l’accès à ses sociétés pétrolières d’État pour les livraisons à long terme dans un marché pétrolier mondial concurrentiel, car la demande de la Chine continue d’augmenter. Le client de CDB, Citic Group, la plus grande société publique d’investissement de Chine,  a fourni des chemins de fer et des complexes de logements. Un autre de ses clients, Sinohydro Group, la gigantesque société d’État hydroélectrique, a construit des centrales électriques.

Cela a aussi été une bonne affaire pour un grand nombre d’entreprises chinoises. Le porte-parole de Chen au Venezuela est un homme très maigre du nom de Liu Kegu, avec les cheveux coupés à ras et la voix tonitruante d’un sergent d’artillerie du Corps des Marines. Chavez l’appelait affectueusement «frère». Il y a dix ans, Li a travaillé sous Bo Xilai, l’ancien patron du Parti communiste de Chongqing, aujourd’hui disgracié et qui attend d’être jugé pour son rôle dans l’assassinat commis par sa femme d’un homme d’affaires britannique. L’opposition vénézuélienne s’inquiète que l’influence chinoise puisse affecte la souveraineté du pays et l’entraîne dans une alliance risquée de dépendance. Des entreprises américaines telles que ExxonMobil ont joué le rôle d’épouvantail au 20e siècle, siècle de l’impérialisme Yanqui; CDB pourrait reprendre ce rôle pour la Chine.

Argument 4: L’énergie propre et les télécommunications. CDB a drainé plus de $ 92,4 milliards de crédit vers les plus grandes entreprises chinoises dans les domaines éoliens, solaires et de télécommunications, qui ont utilisé le cash pour écraser leurs concurrents mondiaux, ou obtenir des prêts, parce que les prêteurs savent que ces sociétés ont le soutien de la banque la plus puissante du monde. L’entreprise chinoise  Huawei, qui est le plus gros fabricant d’équipements de télécommunications du monde, est aussi le plus grand destinataire de ces lignes de crédit – à hauteur de 30 milliards de dollars. Elle a fait appel au crédit CDB pour permettre à ses fournisseurs en Amérique latine, en Afrique, en Asie et en Europe, d’acheter son équipement. En 2009, la société  América Móvil, le plus grand opérateur de téléphonie mobile de l’Amérique latine basée à Mexico, était à la recherche 1 milliard de dollars pour moderniser son réseau mobile – ilt a choisi CDB. Les entreprises chinoises d’énergie solaire continuent à accélérer leur production même quand les pertes grimpent, car elles sont soutenues par des lignes de crédit CDB qui ridiculisent les prêts du gouvernement américain à Solyndra maintenant en faillite. Les prêts CDB contribuent à consolider la domination chinoise dans un secteur d’avenir et  à pousser les entreprises américaines et européennes vers l’insolvabilité. De nombreuses entreprises chinoises ont d’énormes dette et des pertes trimestrielles qui auraient dû les acculés à la faillite. Mais il y a les prêts CDB.

Le danger pour la Chine? Le ressentiment local sur les prêts chinois, comme dans un post-Chávez au Venezuela, mènera à des demandes de renégociation ou même des défauts de paiement. Si cela arrivait, ce serait une leçon coûteuse pour une montée en puissance financière.

Traduction : Avic

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