Pourquoi Édouard Snowden a-t-il choisi Hong Kong ?


hong_kong_nightBeaucoup de monde dans les médias américains se demande pourquoi le plus célèbre dénonciateur de l’Amérique, âgé de 29 ans, Edward Snowden, est allé se planquer dans la ville-État de Hong Kong, appartenant à part entière à la République populaire de Chine, pour y chercher refuge, même temporaire.

Hong Kong a un traité d’extradition avec les Etats-Unis, disent-ils. Et comme pour la Chine, qui contrôle les affaires internationales de la Région administrative spéciale de Hong Kong, tout en lui accordant l’autonomie locale pour régir ses affaires internes, ses dirigeants « ne veulent pas irriter les Etats-Unis » à un moment où l’économie chinoise marque le pas.

Ces gens n’ont pas beaucoup de compréhension de Hong Kong ou de la Chine.

En tant que quelqu’un qui a passé près de sept ans en Chine et à Hong Kong, permettez-moi de présenter mes réflexions sur les raisons qui ont poussé Snowden, de toute évidence un homme très avisé en dépit de son manque d’éducation universitaire, à faire ce choix.

Tout d’abord, oubliez le traité d’extradition de Hong Kong. Quand il s’agit de décider si une personne doit être extradée, en particulier pour un crime politique, par opposition à un simple meurtre ou braquage de banque, la décision sera prise à Pékin, pas dans une salle d’audience de Hong Kong. Deuxièmement, Hong Kong a une longue histoire de fournisseur d’asile aux dissidents – même à des dissidents recherchés par le gouvernement chinois. Ça avait été le cas, par exemple, de l’activiste du mouvement ouvrier chinois Han Dongfang, qui avait fait l’objet d’un coup de filet massif après les manifestations de Tiananmen, mais qui avait réussi à s’enfuir à Hong Kong avant la rétrocession de la place par la Grande-Bretagne à la Chine, et qui continue toujours de surveiller les conflits de travail et les protestations ouvrières à partir de son domicile sur l’île Lamma de Hong Kong. Hong Kong a aussi une population très favorable aux valeurs démocratiques – certainement bien plus que la majorité des citoyens américains. Les habitants de Hong Kong peuvent ne pas accorder trop d’importance à la situation de Snowden pour le moment, mais si les Etats-Unis devaient rechercher activement à l’extrader, je suis convaincu que toute la ville se soulèverait pour le soutenir, y compris les médias locaux.

Quant à la Chine, alors que l’affaire soulevée par Snowden est en cours – l’exposition d’un programme d’espionnage orwellien ciblant le peuple américain et géré par l’ultrasecrète NSA – ce n’est certainement pas une affaire dont le gouvernement chinois aimerait discuter étant donné leur propre société verrouillée. Vous pouvez parier que les gens du Bureau de la Propagande à Pékin, et dans le cercle intime du gouvernement, se frottent les mains avec allégresse à la fois à cause de l’embarras incroyable provoqué par l’hypocrisie des Etats-Unis mise en lumière par leur hôte Snowden, et aussi à cause de la mine de renseignements de sécurité qu’il a en sa possession, et qu’ils peuvent peut-être l’amener à divulguer s’ils le traitent bien.

Et puis, il y a la question du concept confucéen du don et obligations réciproques. Ce n’était, j’en suis sûr, pas par hasard que Snowden a choisi le week-end où le président Obama avait organisé un sommet en Californie pour accueillir le nouveau président chinois  Xi Jinping, pour divulguer son identité en tant que dénonciateur de la NSA, au sujet du programme national d’espionnage, au Guardian et au Washington Post . Ce faisant, il a donné au président Xi un cadeau incroyable – la chance d’avoir le dessus dans ses négociations avec un Obama extrêmement embarrassé et compromis sur des questions telles que le piratage informatique chinois des entreprises américaines et des secrets du gouvernement, ainsi que le vol de propriétés intellectuelles. Car bien sûr, il est clair que la NSA est au moins aussi actif dans le piratage d’ordinateurs chinois et dans l’espionnage des communications chinoises.

Un cadeau tel que celui-là n’est pas facilement ignoré ou oublié dans la culture chinoise. Le Président Xi doit beaucoup à Snowden, et je crois qu’il va honorer cette dette en veillant à ce que Snowden soit à l’abri de toute menace qui pourrait provenir d’un gouvernement américain vindicatif ou apeuré.

Mais Snowden ne se fonde pas uniquement sur les valeurs culturelles chinoises pour se protéger.

Il a également pris soin d’envoyer un puissant message d’avertissement aux responsables américains dans un interview dans une  vidéo publique qu’il a sortie lui-même . Comme il l’a dit à l’interviewer Glenn Greenwald, « j’ai eu accès à des listes complètes de toutes les personnes travaillant à la NSA, la communauté du renseignement tout entier, et des agents infiltrés partout dans le monde ; les emplacements de chaque station, nous savons quelles sont  leurs missions et ainsi de suite. Si je ne cherchais qu’à nuire aux Etats-Unis? Vous pourriez arrêter le système de surveillance dans l’après-midi « .

Cette ligne à la fin a dû raidir dans leurs sièges les gens de Langley et du quartier général de la NSA, ou a dû les inciter à se diriger droit vers le bar pour un raide! Et en effet, il le pouvait. Et je peux même vous garantir, Snowden étant aussi futé qu’il est, qu’il a déjà pris cette information et dispersé à un certain nombre de personnes de confiance, peut-être même Greenwald, avec instructions de tout balancer sur le Web si jamais quelque chose devait lui arriver, comme par exemple son kidnapping, sa disparition ou son assassinat. Il s’agit d’une superbe police d’assurance et cela ne lui aura pas échappé. Il n’aurait pas pris la peine de dévoiler qu’il avait toutes ces informations à sa disposition s’il n’avait pas pensé qu’il pouvait avoir besoin de le faire.

Il serait relativement facile pour les barbouzes high-tech  de la NSA de tracer électroniquement Snowden pour voir s’il a vraiment téléchargé toutes ces informations ultrasecrètes et s’il peut vraiment faire sauter toute la machine d’espionnage américaine. S’ils découvrent qu’il a vraiment ces informations, il serait pratiquement intouchable.

La vraie question n’est pas de savoir ce qu’ils vont faire à Snowden. Mais plutôt ce que nous, Américains, allons faire maintenant que nous savons à quel point notre gouvernement est devenu réellement malsain et totalitaire.

Allons-nous revenir à notre train-train avec nos équipes sportives et nos programmes de télé-réalité, et oublier le fait que nous n’avons plus aucune intimité dans nos vies, que nos dirigeants élus et nos juges fonctionnent sur l’hypothèse que, s’ils sortent de la ligne, la machine fasciste de la NSA, qui travaille au service de l’élite corporative, pourra leur faire du chantage ou les détruire avec son accès à toutes leurs communications ? Ou allons-nous lever et exiger la fin de cette tyrannie high-tech au nom d’une «guerre» frauduleuse contre le terrorisme ?

Snowden s’est exilé et a renoncé à un excellent travail à Hawaï, dans l’espoir que nous allions nous lever quand nous aurons appris que notre démocratie a été détournée.

Espérons que ce ne sera pas en vain.

DAVE LINDORFF est un membre fondateur de ThisCantBeHappening! , et est un contributeur à Hopeless: Barack Obama and the Politics of Illusion  (AK Press).

Traduction : Avic

2 réflexions sur « Pourquoi Édouard Snowden a-t-il choisi Hong Kong ? »

  1. C’est un plaisir que de lire vos articles. Merci pour les traductions que vous effectuez pour le bien de tous ceux qui recherchent la vérité.

  2. @ Alep Maaloula.
    Sachez qu’à travers le monde, des millions de personnes pensent à vous, et vous soutiennent.
    Vive la Syrie moderne et plurielle, berceau de la Civilisation véritable, fondée sur la Convivialité et la Tolérance.

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